D’ici la fin de l’été, le projet d’Emmanuel Macron sur la fin de vie doit préciser les contours de « l’aide active à mourir », qui, sans précaution, risque de dériver vers une solution de facilité pour les personnes âgées dont la société ne prend pas la peine de bien s’occuper – notamment en ce qui concerne les soins palliatifs.
« Une affection grave et incurable qui engage le pronostic vital à moyen terme »… N’est-ce pas là le propre de la vieillesse ? Emmanuel Macron s’est engagé à porter d’ici la fin de l’été son projet de loi sur l’aide active à mourir. Certes, les mots « euthanasie » et « suicide assisté » ont été sagement retirés des textes, mais derrière la sémantique, le risque de glissement reste le même : qu’on ouvre la possibilité de se débarrasser des plus faibles, du moins, qu’on leur propose gentiment de se débarrasser d’eux-mêmes. En premier lieu, les personnes âgées, qui pourraient être éligibles à la procédure. Les déficiences physiques, irréversibles, s’accompagnent de polypathologies à qui on n’offre souvent pas la possibilité d’un traitement – les vieux étant souvent considérés comme « trop vieux » pour valoir la peine d’être soignés, un peu comme un téléphone en état d’obsolescence programmée.
Le premier risque qui inquiète les professionnels du secteur concerne la confusion entre soins palliatifs et aide active à mourir, les questions étant souvent traitées ensemble comme si elles étaient liées. Pour rappel, l’offre en soins palliatifs reste inaccessible pour deux tiers des français qui en auraient besoin. Déjà parent pauvre des hôpitaux, elle est la plupart du temps totalement inexistante dans les EHPAD. « Dans la mesure où les soins palliatifs restent largement inégaux en France, l’autre option possible sera donc celle de mourir, plutôt que de souffrir, comme s’il n’existait pas de solution alternative, explique Gaël Durel, vice-président du Conseil national professionnel de gériatrie et de l’association national des médecins coordonnateurs en Ehpad (MCOOR). Malgré nos demandes, il n’y a qu’une loi commune pour la fin de vie. Nous n’avons pas besoin de loi supplémentaire, mais de moyens supplémentaires pour faire appliquer ce qui existe déjà, c’est -à -dire, la possibilité de bénéficier de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. »
Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), rappelle que 80% des gens qui décèdent ont plus de 80 ans : « Il faudrait donc que 80% des soins palliatifs soient dédiés aux plus âgés. La question n’est pas ou pas de mourir, mais de bien mourir », poursuit-il. Le problème, dans le fond, reste que ceux qui présentent la volonté individuelle comme valeur suprême voudraient présenter la mort comme un soin comme un autre. Pratique, comme économie.
Liberté partielle
Alors, certes, le projet de loi conditionne l’aide active à mourir à la capacité de discernement, excluant donc, en principe, les personnes souffrant de maladies neurodégénératives, comme Alzeihmer. Demeure le sujet des directives anticipées, qui soulève d’autres questions. « Sur le terrain, d’après ce que je vois tous les jours, les personnes qui ont toujours voulu l’euthanasie n’en veulent plus le jour où elles y font face. Dès qu’on gère la douleur et l’anxiété, ils ne veulent plus mourir. D’ailleurs, depuis la loi Leonetti, je n’ai eu qu’une demande de sédation profonde, raconte la gériatre Céline Baudemont. Si on fait intervenir les proches, on risque également de se confronter à des représentations agistes, du style « il est vieux, il vaut mieux qu’il meurt ». »
En l’absence de moyens pour mieux accompagner l’euthanasie, la condition de la liberté, souvent invoquée pour défendre le sujet, ne pourra jamais être garantie. « Les propositions de loi sur le grand âge ne voient jamais le jour, et tout le débat public se focalise sur l’euthanasie. Pourquoi pas, mais sans aucun moyen pour mieux accompagner la mort, on ne peut s’assurer que celle-ci se déroule sereinement », ajoute Pascal Champvert.
Céline Baudemont va plus loin en s’inquiétant d’une société « qui ne va pas très bien » : « Le débat sur l’euthanasie glisse immédiatement vers un débat sociétal : c’est la preuve qu’il y a une défaillance quelque part. Avoir un débat constructif sur la mort implique d’avoir un débat approfondi sur la société dans laquelle on vit et de la place qu’on laisse à chacun. Si on ne se pose pas les bonnes questions, on risque d’aller vers des dérives. »
Car l’euthanasie, en soumettant l’idée que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, concrétise la forme la plus pointue d’âgisme. « Si une personne ne se sent pas respectée, ne trouve pas sa place dans la société, oui, elle va avoir envie de mourir », conclue Céline Baudemont. « Dans la mesure où les personnes âgées ont intériorisé qu’elles n’étaient pas les bienvenues, voire qu’elles sont franchement exclues, l’aide active à mourir reste dangereuse pour les plus faibles, les plus handicapées, les plus dépendantes, qui risquent de penser qu’elles n’ont plus leur place sur terre, analyse Cyril Hazif Thomas, chef de l’intersecteur de psychiatrie de la personne âgée, et directeur de l’Espace de réflexion éthique de Bretagne (Ereb). C’est un débat complexe, mais je milite pour que les personnes âgées ne soient pas concernées par le périmètre de l’aide active à mourir. » Que les personnes âgées n’aient pas, en vieillissant, tout bêtement l’impression de déranger.
Coline Renault